(c) Cet article a été publié sur TelQuel
Au début du 20e siècle, Casablanca, capitale économique du protectorat, devient un véritable laboratoire d’urbanisme. De jeunes architectes européens expérimentent en mêlant éléments traditionnels marocains et tendances avant-gardistes, le tout en utilisant des innovations techniques comme le béton armé.
La ville blanche dispose donc aujourd’hui d’un patrimoine architectural remarquable qui en fait un véritable musée à ciel ouvert. On y retrouve tous les courants d’avant-garde entre 1920 et 1975: de l’Art nouveau au brutalisme en passant évidemment par l’Art déco, le néo-classicisme, le néo-mauresque…
“Dans l’ancienne médina, notamment, l’Art déco représente une part importante des bâtiments patrimoniaux. Des immeubles au traitement architectural occidental avec balcons, balustrades, corniches, moulures…”, illustre Samira Abouir, architecte casablancaise.
“Mais le développement et l’urbanisation rapides qu’a connus Casablanca mettent en péril ce patrimoine universel, qui reste mal connu et menacé. Sa conservation et sa préservation sont une nécessité impérieuse”, alerte-t-elle ensuite.
Le conseil de la ville s’est engagé à faire de la protection du patrimoine une de ses priorités, à verser une contribution annuelle à Casa Patrimoine, la société de développement local (SDL) chargée de réhabiliter, sauvegarder et valoriser le patrimoine culturel, matériel, immatériel et naturel du Grand Casablanca, et enfin à mobiliser les actions de coopération internationale qui peuvent apporter leur expertise à la préservation du patrimoine et contribuer à son financement.
La coupole Zevaco
La coupole Zevaco – Kora Ardia pour les intimes – a elle aussi fait une cure de jouvence. Elle a été rouverte au public en décembre 2021 à la suite de cinq années de travaux conduits par les SDL Casa Patrimoine et Casa Aménagement, pour un coût de près de 25 millions de DH. La coupole et le passage souterrain qu’elle surplombe ont été rénovés et équipés de kiosques, de commerces et d’établissements de restauration.
Les anciens abattoirs
Parmi les projets de réhabilitation et de sauvegarde des fleurons architecturaux de Casablanca, les anciens abattoirs municipaux occupent une place singulière. Construit par l’architecte français Georges-Ernest Desmarest en 1912 et modernisé en 1922 par Henri Prost, l’édifice mélange éléments de décoration mauresques et influences d’un nouveau mouvement architectural (qui ne prendra son nom qu’en 1925), l’Art déco.
D’un coût de 266 millions de dirhams, les travaux, en cours de réalisation, vont restaurer la façade, réhabiliter les bureaux du vétérinaire et la mosquée, créer une place publique, démolir des frigos, et valoriser le jardin. L’objectif est d’en faire une cité culturelle.Une ambition née au lendemain du festival Transculturelles, en avril 2009, à la suite d’une convention signée entre la ville et le collectif Casamémoire. Le festival avait attiré plus de 30 000 visiteurs en trois jours.
La médina
1,6 milliard de dirhams ont été mobilisés depuis 2010 pour réhabiliter l’ancienne médina de Casablanca. Si elle n’est pas la plus belle des médinas du royaume, elle peut se targuer d’être celle qui héberge le plus d’influences architecturales. On y retrouve des édifices répondant aux critères traditionnels marocains du début du 20e siècle, avec des maisons à patio, mais aussi des constructions néo-classiques avec des balcons en fer forgé, des éléments hispano-mauresques et des influences Art déco (à partir des années 20).
Grâce aux efforts de l’association Casamémoire, elle a été inscrite au Patrimoine architectural de la métropole. Aujourd’hui, le pari est de l’inscrire au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le programme de réhabilitation vise aussi à mettre à niveau les infrastructures et les équipements publics de proximité, à promouvoir l’activité commerciale, artisanale et touristique ainsi que l’insertion économique et sociale des jeunes.
Les passages Sumica et Tazi
Non loin de là, sont situés les fameux passages Tazi et Sumica. Le premier, conçu en 1929 par les architectes Louis-Paul et Félix-Joseph Pertuzio, s’ouvre sur le boulevard Hassan II, les rues du Vizir Tazi, et de Maârakat Ohoud et de Tata. On peut y admirer une grande rotonde dominant des pavés de verre et de marbre. Le passage Sumica a quant à lui été construit trois ans plus tard, dans le plus pur style Art déco, par les architectes Auguste Cadet, Edmond Brion et Marcel Desmet.
Casa Patrimoine a débloqué un budget de près de 4,1 millions de DH pour la restauration de ces passages, une innovation architecturale à l’époque. Ils permettaient aux piétons de pénétrer dans les blocs d’immeubles, et d’accéder à des galeries marchandes, des cafés, des hôtels ou encore des cinémas, faisant de Casablanca une ville à la pointe de l’urbanisme, à l’instar des grandes métropoles occidentales.
Le Sacré-Cœur
L’ex-cathédrale du Sacré-Cœur subit aussi un lifting, pour un coût de 8 millions de DH. Cet ancien sanctuaire catholique a été construit à partir de 1930 dans un style mêlant esthétique gothique et Art déco, par Paul Tournon, lauréat du Prix de Rome. C’est son aspect monumental qui lui a valu le titre de “cathédrale”, alors qu’elle n’a jamais été le siège d’un évêché.
Sa réhabilitation, initiée en 2016 et portée par l’architecte Abderrahim Kassou, est arrivée à sa dernière phase : l’aménagement de son espace extérieur. La présidente du conseil de la ville, Nabila Rmili, a d’ailleurs visité le chantier en novembre dernier, afin de s’enquérir de son avancée. Les travaux ont accusé un long retard en raison de la crise sanitaire.
Il est prévu que le Sacré-Cœur abrite un musée d’interprétation, un espace d’exposition, un théâtre où pourront se produire des troupes amateurs, ainsi que deux salles de conférences.
Un ouvrage-référence pour le patrimoine architectural
Récemment, l’agence urbaine de Casablanca a demandé à l’architecte Tarik Oualalou d’élaborer les dossiers d’inscription des bijoux architecturaux de la ville au patrimoine national. La prestation consistera à inscrire, sous huit mois, 1200 éléments identifiés et inventoriés par l’Agence urbaine de Casablanca au patrimoine national.
Et en février dernier, l’agence a publié l’Atlas du patrimoine architectural de Casablanca, un ouvrage de 377 pages qui regroupe photos, documentation topographique, et études analytiques spécialisées dans les domaines de l’histoire et de l’architecture. Le livre constitue une référence incontournable pour les chercheurs dans le domaine de la construction de la ville, l’histoire de tous ses quartiers et les références des écoles d’ingénieurs qui ont contribué à ce laboratoire architectural.
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